À la suite du décès de Moufida Tlatli nous avons recueilli quelques témoignages en hommage à la cinéaste qui a marqué l’histoire du cinéma tunisien avec son fabuleux « Les silences des palais ».
Dorra Bouchoucha, Productrice : « Tu m’as fait découvrir ce métier »
Moufida, si je fais ce métier aujourd’hui, c’est que tu me l’as fait découvrir et appréhender de par son plus bel angle. Ma chance dans la vie est que ma première expérience dans le monde du cinéma est de t’avoir côtoyée et accompagnée dans toutes les étapes de la réalisation du film « Les silences des palais », du scénario au financement jusqu’à la sortie du film, en passant par le casting, les décors, les costumes, la production, le montage etc. Ce fut un enchantement et un tournant dans ma vie.
Ta sensibilité, ton souci obsessionnel pour la justesse du détail, pour l’expression de l’émotion vraie m’ont nourri et donné l’envie de contribuer à des films qui m’émeuvent.
L’entièreté de la mise en oeuvre de ton deuxième film « La saison des hommes » était une leçon de cinéma et de vie dans une ambiance toujours empreinte de ta bonhomie et de ta finesse. Je suis fière et reconnaissante de t’avoir croisée et d’avoir cheminé avec toi ce bout de vie. On te voyait peu ces derniers temps…On te voyait plus. Tu nous manquais déjà. Mais, je continuerai à voir tes yeux rieurs, à entendre tes éclats de rire communicatifs et à ré-écouter nos interminables échanges sur tous les aspects de la vie mais dont l’échine était le cinéma. Repose en paix, Moufa, on t’aimait tant.
Kahena Attia, Chef Monteuse : « Le souvenir d’une grande sœur »
J’étais vraiment bouleversée par la disparition de Moufida. J’ai l’impression que le temps devient trop court pour notre génération… Avec Moufida Tlatli et Kalthoum Bornaz, nous étions les trois premières femmes parties à Paris pour faire des études de cinéma à l’IHDEC (L’Institut des hautes études cinématographiques). On était très liées toutes les trois . J’étais la benjamine et j’ai habité avec Moufida dans la même chambre d’un foyer à Paris. On a passé une année où on était extrêmement proches. Et j’ai gardé d’elle le souvenir d’une grande sœur parce que moi je venais de débarquer dans la vie. Moufida était une très belle personne même sur le plan physique elle était belle. Elle avait le sens de l’écoute et beaucoup de générosité.
Cette grande sœur pour moi est devenue plus tard une maman pour tous les réalisateurs tunisiens qu’elle couvait et maternait en quelque sorte. Elle était très patiente chose que nous n’avions pas Kalthoum et moi nous formions un vrai dégradé de caractère. Le retour de Moufida en Tunisie a permis au cinéma tunisien de retrouver une nouvelle manière de raconter des histoires parce que le cinéma tunisien à cette époque commençait à passer d’un style à l’autre.
Quand elle est arrivée au film « Les silences du palais » elle était mature sur le plan professionnel. Ce film est une pépite sur le plan de l’écriture et de l’esthétique. Il y avait une telle qualité d’échange avec les gens qui travaillaient avec elle qu’il était presque impossible de ne pas l’écouter. Elle était dans la justesse de ce qu’elle avait envie de raconter. En plus elle a découvert non seulement Hend Sabri qui était magnifique mais pour moi c’était surtout la découverte de Amel Hédhili qui a porté le film avec le personnage masculin.
Dans « Les silences du palais » Moufida est arrivé à mettre autour d’elle une bulle d’amour. Ce film est porteur de cette bulle d’amour c’est dans cette bulle qu’elle a cherché son oxygène mais en vain.
Fethi Kharrat, Ex-directeur du CNCI : « L’enthousiasme qui ne venait qu’à ceux qui aiment leur métier »
Elle s’est distinguée par un grand professionnalisme car elle a étudié le montage académique en France, puis a travaillé dans des équipes de réalisation en tant que script, ce qui lui a permis de se familiariser avec tous les détails et les secrets de ce métier.
Des réalisateurs se sont parfois concurrencés pour avoir accès à ses services. Travailler avec elle était un plaisir, car elle accomplissait son travail avec toute la vitalité et l’enthousiasme qui ne venaient qu’à ceux qui aiment leur métier, ils le maîtrisent au point que ce dernier devient une partie de leur être et de leur devenir.
En 1973, elle monta l’un des films tunisiens les plus aboutis et les plus complets, Sejnane d’Abdel-Latif Ben Ammar, et bientôt elle devint partenaire du succès du cinéma tunisien, à « l’ombre de la terre » de Tayeb Whichi et « Traverseurs » de Mahmoud Ben Mahmoud et « Al-Haimoun » de Nasser Khmir. Des réalisateurs d’Algérie, du Maroc et de Palestine. S’appuyaient sur son expertise.
Lorsqu’elle est passée à la réalisation, elle n’a trouvé aucune difficulté à s’adapter, car elle connaît la plupart des techniciens du cinéma. Et parce que son sourire l’a précédée, elle a rapidement gagné l’amitié de tous. Elle n’était jamais entrée en conflit avec qui que ce soit, malgré le fait que la communauté cinématographique n’était pas sans querelles, et elle captivait tout le monde avec son sourire et son rire qui remplissaient tout l’espace autour d’elle.